Quand les acteurs de l’économie sociale et solidaire s’engagent autour des droits culturels pour faire progresser les libertés Article rédigé dans le cadre du RIUESS 2018 – Rennes. De la création d’un spectacle par une équipe artistique à la mise en œuvre d’un festival dans un village, de la gestion d’une radio à la conduite d’un lieu de musique ou d’arts plastiques, de l’accompagnement de pratiques numériques au développement de projet de coopération européenne... la multitude des initiatives artistiques et culturelles de l’économie sociale et solidaire développe des activités très variées. Elles traduisent l’aspiration contemporaine à participer à la vie artistique et culturelle, comme le manifeste plus largement l’expansion des associations culturelles, recensées à 7 200 en 1959 et aujourd’hui à plus de 267 000[1]. Elles composent aussi, d’après la loi relative à l’économie sociale et solidaire, une large partie du secteur professionnel culturel.
Considérant cette dynamique, nous souhaitons ici tenter de donner lecture à une volonté en actes exprimée à travers la construction de parcours dans le champ culturel qui s’articule avec la dimension d’économie sociale et solidaire (en particulier associative). Nous tenterons de témoigner de la façon dont la capacité des personnes à « faire et créer ensemble », des processus d’action autour des enjeux culturels, dessine de nouveaux horizons d’émancipation. La dimension d’économie sociale et solidaire imprègne largement le champ professionnel culturel. Ainsi, 35 100 associations employeurs emploient plus de 169 000 salariés (soit 9,4% de l’emploi salarié associatif) et cumulent un budget de 6,3 milliards d’euros[2]. Les structures des arts et du spectacle de l’économie sociale et solidaire représentent 26,7 % des emplois du secteur[3]. Si nous nous penchons sur le secteur du spectacle vivant, nous pouvons constater que 82 % des entreprises sont constituées sous forme associatives[4]. Elles ont déclaré, en 2016, 48 % de la masse salariale du secteur. Dans le spectacle enregistré (audiovisuel, édition phonographique, cinéma…), 30% des entreprises sont sous forme associative[5] et les associations employeuses intervenant dans le champ des arts visuels sont estimées à 3 200[6]. Cette dynamique méconnue est, pourtant, continue, comme nous pouvons le noter une fois encore dans le champ du spectacle vivant dans lequel les entreprises sont passées de 12 400 à 20 899 entre 2000 à 2016 (soit une augmentation de +69 % d’entreprises employeurs). Sur la même période, le nombre de salariés des employeurs réguliers et professionnels de la branche a lui aussi progressé, passant de 148 505 à 200 244[7]. C’est ainsi que ces secteurs professionnels montrent une croissance soutenue d’initiatives structurées en très petites entreprises (en moyenne 5 salariés) qui déploient une multiplicité d’activités, dans un univers de services, communément fondé sur la mobilisation première de ressources humaines. On pourrait penser, comme certains, que la constitution de ces structures, qui empruntent aux statuts de l’économie sociale et solidaire, est due au hasard, que ce sont des « entrepreneurs » en herbe qui adoptent « à l’insu de leur plein gré » une forme juridique incohérente avec leur projet. Le rapport sur l’entreprenariat culturel, proposé par S. Hearn (2016)[8] témoigne de ce parti pris. En plein vote de la loi sur l’économie sociale et solidaire, il reprend une définition bien formatée de l’entreprise : « Un entrepreneur culturel est le fondateur d’une personne morale immatriculée au registre du commerce et des sociétés (RCS) qui commercialise un produit ou service culturel, dont il est ou non à l’initiative, en s’insérant dans des logiques entrepreneuriales (rentabilité, croissance, profit) ». De là, le rapport énonce un ensemble d’observations et de constats non argumentés : le secteur culturel se constituerait d’un agglomérat brouillon de petites structures, pour la plupart associatives ayant du mal à « sortir de la spirale antiéconomique » et souvent enfermées dans cette forme juridique par « manque de réflexion et de connaissance, souvent influencés par l’approche française, notamment publique ». Au-delà du désaveu clair de ce rapport apporté par plusieurs réseaux d’acteurs culturels de l’économie sociale et solidaire, un simple regard sur l’ensemble des données qui montrent à la fois la longévité et la consolidation progressive de ces structures suffit à mettre en doute cette affirmation. Ainsi, rien que dans le spectacle vivant où plus de quatre structures sur cinq sont associatives, 67 % des entreprises employeurs ont 5 ans et plus en 2016[9]. Développant des organisations économiques variées, elles sont plus de 7100 structures à avoir été accompagnées par le dispositif local d’accompagnement (DLA) depuis 2004. Nous pouvons aussi souligner que sont culturelles 15 à 17% des entreprises à avoir bénéficié d’un soutien du réseau d’appui en financement France Active, témoignage de leur capacité à s’organiser « économiquement ». D’ailleurs, elles sont de plus en plus nombreuses à se revendiquer clairement de l’économie sociale et solidaire, même si sa normalisation voire sa banalisation grandissante les questionne. De la déclaration à travers un manifeste ou une charte, des mentions explicites dans les présentations des structures voire dans les statuts[10], de l’adhésion et la participation aux réseaux de l’économie sociale et solidaire (Mouvement pour l’Economie Solidaire, Chambres régionales de l’ESS…) et instances de l’économie sociale et solidaire, ces signes d’appartenance sont multiples. Ainsi, au-delà des chiffres et des périmètres statistiques qui donnent à voir l’ampleur d’une réalité incarnée sur les territoires, c’est bien la force d’un mouvement qui s’affirme positivement dont il convient ici de tenter de percevoir les capacités d’innovation et de transformation sociale. Ces structures qui développent des activités culturelles se placent bien souvent dans une historicité culturelle du collectif, de la société civile et de la non lucrativité[11]. Elles illustrent, tant à travers leurs actions individuelles que collectives, la capacité à s’extraire des représentations de la commercialité lucrative et d’une logique administrée descendante[12]. Affirmant pleinement la possibilité d’une alternative économique pour les arts et la culture[13], elles organisent une économie plurielle qui tente de résister au désencastrement de l’économie dans le social et le politique, à une réduction de leur socio-économie au marché et à l’agent économique, qu’il soit producteur ou consommateur. Pour cela, elles inventent au quotidien de nouvelles modalités pour conduire leurs projets et font émerger de nouveaux espaces de travail, dans une tension entre auto-gestion, développement de leur projet singulier et considération de la culture comme enjeu d’intérêt général et d’émancipation. Elles se forment comme des initiatives privées avec, au fond, une volonté de s’intéresser au commun, à la chose publique. A travers différents processus d’observation et d’analyse réflexive (observation participative et partagée[14], études, chartes, manifestes…) ainsi que des formes diverses d’accompagnement des pratiques (réseau de pairs, dispositif local d’accompagnement[15]…), elles font peu à peu émerger les conditions particulières de mise en œuvre de leurs projets. Elles permettent ainsi de requestionner, à travers leurs pratiques et les valeurs défendues, de multiples problématiques contemporaines et tentent de proposer des logiques alternatives et instituantes aux normes professionnelles et politiques. Longtemps invisibilisées, elles portent une volonté de se construire pleinement et d’interagir avec les cadres normatifs[16]. Cette capacité à se libérer des injonctions professionnelles, politiques, artistiques, territoriales… se dessine à travers un ensemble de modes de faire. Ces acteurs réinventent les parcours professionnels dans le champ artistique et culturel dont ils montrent la pluralité des formes. La carrière verticale s’efface au profit d’organisation en réseaux[17]. Les fonctions de création-diffusion se transforment et s’élargissent au profit de logiques plus hybridées alors que les métiers de direction et d’interprétation font la place à du travail en équipe qui se cherche plus horizontale[18]. Ils interrogent les modalités de légitimité : au vedettariat-notoriété, ils répondent par la diversité, aux talents par les capabilités, ils souhaitent travailler aux relations entre professionnels et amateurs…Les frontières disciplinaires se font poreuses[19] et le territoire, par son histoire, son terreau, son épaisseur coopérative[20], devient ressource. Renouvelant des pratiques parfois anciennes, ils développent des formes d’itinérance, mettent en valeur des modes de vie hors cadre, créent de multiples réseaux, mettent en œuvre une diversité de mutualisations… En regard et en dialogue avec d’autres espaces d’économie solidaire, ils imaginent des référentiels d’utilité sociale, conçoivent des outils de relations équitables… La catégorie « public » s’estompe pour favoriser la « personne » singulière[21]. Une attention aux relations humaines se lit à travers la prise en compte des parcours de vie, l’apparition de modes de solidarité, le quotidien de la coopération, les transferts réciprocitaires de savoirs et savoirs faire[22]. Surtout, au-delà d’une politique de l’accès, qui nie encore trop souvent la culture de l’autre, et une politique de réponse aux « besoins » qui tend à laisser dominer une organisation en marché (public ou privé) et privilégie progressivement l’essor d’une industrie culturelle et créative, elles restent persuadées de la primauté de la dignité et de la liberté des personnes comme fondement à partager. C’est ainsi que, dès 2007, dans le Manifeste pour une autre économie de l’art et de la culture[23], les structures réunies au sein de l’UFISC revendiquent la diversité culturelle et les droits culturels comme valeurs communes autour desquelles ils bâtissent leurs engagements. Il s’ensuivra le mouvement l’Art est public en 2012 qui appelle à une mobilisation citoyenne et réaffirme l’enjeu des droits culturels jusqu’à porter en 2017 la lettre ouverte « Les Droits Humains au cœur de la République, pour un vivre-ensemble solidaire »[24]. Les droits culturels émergent du corpus définissant les droits de l’homme porté au niveau international par l‘Unesco et les Nations Unies. Ils font partie du système indivisible, universel et interdépendant des droits humains, fondé sur le préambule de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 qui considère que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde[25]. La Déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle (2001) ainsi que plusieurs textes internationaux considérant la diversité culturelle comme les droits culturels ont été ratifiés par la France. Parmi les textes qui engagent la France sur le plan international, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (adopté en 1966, entré en vigueur en 1976), proclame dans son article 3 que « Les Etats parties au présent Pacte s'engagent à assurer le droit égal qu'ont l'homme et la femme au bénéfice de tous les droits économiques, sociaux et culturels qui sont énumérés dans le présent Pacte. » En 2015, la loi Nouvelle organisation territoriale de la République (loi NOTRe) affirme en son article 103 que "La responsabilité en matière culturelle est exercée conjointement par les collectivités territoriales et l'Etat dans le respect des droits culturels énoncés par la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles du 20 octobre 2005". Différentes actions de personnalités de la société civile, d’acteurs associatifs et de l’économie solidaire, d’élus et de réseaux professionnels de collectivités locales, assises sur plusieurs années de sensibilisation et de plaidoyer, ont concouru à cette reconnaissance. En 2016, la loi Liberté de la création, architecture et patrimoine reprend cette ambition politique. Les droits culturels peuvent être définis comme les droits et libertés d’accès et de participation aux ressources nécessaires au processus d’identification culturelle développé tout au long de sa vie. Ils reconnaissent la dignité des personnes et visent à une progression de leurs libertés, de leurs responsabilités, de leurs capabilités, dans un devoir de faire humanité ensemble. Ils se fondent sur une considération élargie du terme «culture» « les valeurs, les croyances, les convictions, les langues, les savoirs et les arts, les traditions, institutions et modes de vie par lesquels une personne ou un groupe exprime son humanité et les significations qu'il donne à son existence et à son développement »[26]. Il y a ainsi une complémentarité nécessaire entre le respect de la diversité culturelle et celui des droits culturels : les personnes sont les premiers facteurs de la diversité et celle-ci est entretenue au service de leurs droits. La diversité culturelle se construit dans une relation dynamique entre sociétés et territoires de vie. Les droits culturels sont définis au sein d’un corpus de différents textes internationaux et désignent ainsi particulièrement le droit à l’éducation, le droit de participer à la vie culturelle, le droit à la liberté d'expression artistique, le droit à l'information. Plus largement encore, leur définition permet de mettre en valeur la dimension culturelle des autres droits de l'homme. Ils en complètent l’interprétation et l’effectivité. Les droits culturels définissent ainsi une vision politique et un cadre éthique permettant de réinterroger au long cours les pratiques et les cadres d’organisation de nos sociétés pour intégrer pleinement l’objectif d’émancipation dans les parcours des personnes. Pour de nombreux acteurs de l’économie sociale et solidaire, s’inscrire dans ce cadre politique et éthique permet de réfléchir collectivement aux défis contemporains sans s’enfermer dans une dimension technique et normative à laquelle la banalisation d’une professionnalité dépolitisée les renvoie sans cesse. De plus, la globalité attachée aux droits culturels oblige à sortir du silo, des corporatismes, pour penser le « vivre-ensemble », l’interterritorialité, les solidarités. Leurs principes collectifs de construction et de mise en œuvre appellent à la participation de tous et à approfondir la vie démocratique. Plusieurs cas témoignent de la manière dont les acteurs de l’ESS, en particulier du secteur culturel, initient des processus réflexifs à visée éthique et normative autour des droits culturels. De nombreux organisations et réseaux disciplinaires ont commencé à y travailler. Une vingtaine de réseaux et associations réunie en février 2017 au Palais du Luxembourg autour du forum « Culture, communs et solidarités » témoigne que « dans le monde complexe et en tension comme aujourd'hui, il nous faut penser le « vivre-ensemble », la relation à l’autre avec la diversité culturelle comme universalité, l’« identité-relation »[27], la construction des modes de vie et de la représentation symbolique du monde comme un enjeu à réfléchir en commun ». Nous pouvons aussi relever les débats proposés lors de Popmind dans le champ des musiques actuelles, la campagne sur la diversité culturelle initiée par Zone franche (Réseau de musiques du Monde), la note sur les droits culturels publiée par le Synavi (Syndicat national des arts vivants), le Manifeste pour la création dans l’espace public et les Universités Buissonnières portées par la Fédération nationale des arts de la rue, les rencontres proposées par la FAMDT (Fédération des acteurs de musiques et danses traditionnelles), le travail sur la bibliodiversité de l’association internationale des éditeurs indépendants, le travail des MJC en région Bretagne, les travaux du Collectif des associations citoyennes… qui reflètent les nombreux débats et initiatives qui naissent partout. L’approfondissement des échanges, le questionnement des pratiques, le débat démocratique sur ces enjeux constituent en effet des exercices essentiels. Plusieurs processus collectifs se sont engagés dans la durée, parmi lesquelles nous pouvons citer la démarche « Volontaires pour les Droits culturels » initiée par la Région Nouvelle Aquitaine ou encore la démarche de recherche-action appelée Paideia, développée depuis 2012 par le Réseau culture 21 développe en partenariat avec l’Institut interdisciplinaire d’éthique et des droits de l’homme de l’Université de Fribourg (IIEDH) et son Observatoire de la diversité et des droits culturels, qui a pour objectif d’analyser comment les droits fondamentaux et en particulier les droits culturels sont pris en compte dans l’ensemble des politiques de développement territorial (culturelles, écologiques, économiques, politiques et sociales). Nous nous intéresserons ici plus particulièrement à la recherche-action engagée en 2017 par un collectif d’acteurs privés et publics « Pour une démarche de progrès par les droits culturels »[28]. Cette démarche est portée par un comité de pilotage rassemblant l'UFISC, la Fraap (arts plastiques), la Fnar (arts de la rue), la Fedelima et le RIF (musiques actuelles), la Famdt (musiques et danses traditionnelles), le Synavi (syndicat de compagnies et lieux de spectacle vivant), Zone Franche (musiques du monde), AILF (librairies francophones), SLF (syndicat des librairies françaises), AIEI (éditeurs indépendants), Savoirs Com1 (collectif français sur les communs de la connaissance), le Mouvement pour l'économie Solidaire, le Collectif des associations citoyennes, l’association Opale (qui assure la mission de centre de ressource culture pour les dispositifs locaux d'accompagnement), la plate-forme interrégionale des agences pour la culture, accompagnés par le Ministère de la culture et l'initiative de recherche Démocratie et économie plurielles conduite au sein du Collège d'études mondiales. Elle s’inscrit dans les perspectives du forum « Culture, communs et solidarités », qui avait identifié le besoin d’un travail d’accompagnement collectif autour des droits culturels. Des besoins de sensibilisation des acteurs, d’appréhension des concepts, d’approfondissement des différents enjeux dans le contexte contemporain à la fois local et international avaient été exprimés, comme des souhaits de faire évoluer les pratiques et les politiques publiques. Intégrant des principes méthodologiques travaillés dans l’économie solidaire (dialogue acteurs-chercheurs, modalités de démarches de progrès, modalités de coconstruction des politiques publiques), cette démarche se construit de façon participative. Les premières actions ont associé des entretiens croisés entre la diversité de partenaires, des appuis aux travaux de sensibilisation menés par les réseaux auprès des acteurs, l’identification et l’éclairage du contexte et d’initiatives en lien avec les droits culturels, l’organisation d’espaces de réflexion et d’échanges… Ces premières opérations, menées en 2017 et 2018, font émerger des analyses croisées entre acteurs de différentes sphères et disciplines. Favorisant une interconnaissance renforcée entre participants, des discussions sur les vocables et les réalités perçues, elles permettent de continuer à dresser un panorama d’enjeux qui interrogent nos sociétés contemporaines, les mutations qu’elles vivent, les perspectives ou les alternatives qu’elles construisent et la transition ou la réinvention des modes de vie nécessaire pour penser une transformation sociale vers un mieux vivre-ensemble. Précisant que le processus de travail reste en cours, nous pouvons toutefois mentionner plusieurs des enjeux mis en avant par le collectif. Témoignant d’une inscription majoritaire des parties prenantes dans le terreau professionnel du secteur culturel, le collectif a souligné la grande dynamique des initiatives artistiques et culturelles, présente ici comme ailleurs, dans un contexte où la dimension de « culture » connait une réappropriation extensive de son sens. Toutefois, force est de constater l’invisibilité (construite ou non) des initiatives culturelles solidaires. Il se fait critique vis à vis de politiques publiques, souvent plus préoccupées de démocratisation culturelle, au sens de l’accès à une culture dite légitime, qu’à l’entretien et la promotion de sa diversité. Le constat d’une difficulté à construire une organisation interterritoriale et à prendre en compte l’ascendance citoyenne demeure prégnant. En outre, le principe concurrentiel qui s’affirme progressivement et le large appui apporté aux industries culturelles et créatives dans un contexte exacerbé de concentration et de financiarisation de celles-ci sont largement observés. Rapidement le lien sur les enjeux est fait avec d’autres sphères d’activité. Les défis apparaissent nombreux tant sont partagés différents constats : l’assignation renvoyée aux catégories de publics par les dispositifs institués, les référentiels d’évaluation quantitative qui normalisent et dévoient les actions, occultant les relations entre personnes et les finalités visées en terme de développement humain, les crispations des corporatismes professionnels et le défaut d’accompagnement, les exacerbations identitaires ou de sécurité dont témoignent la montée de l’extrême-droite et le déploiement de l’état d’urgence, les nouveaux usages non maîtrisés du numérique qui instrumentalisent les personnes ou encore les inégalités dans les échanges, particulièrement entre le Nord et le Sud. Nous pouvons également relever des premières pistes de travail qui affleurent au sein de ce collectif dans la visée de penser des parcours d’émancipation à travers les droits culturels. S’il est considéré comme essentiel l’inscription dans la loi de la visée politique constituée par le respect des droits culturels des personnes, et donc de leur progression en libertés effectives, il est tout autant signifié la nécessité de progresser dans une éthique des pratiques de chacun, individuellement et collectivement. Il est souligné l’importance de mieux saisir les singularités et les dignités culturelles et de mieux construire les partages à permettre entre les personnes, à travers des hybridations, des transversalités, des dialogues respectueux et assumés, pouvant aller jusqu’à approfondir des réconciliations possibles entre des catégories de pensée (tradition, modernité, communauté, …). Le chemin pris pour penser des terrains alternatifs dans les postures professionnelles est à approfondir, à affirmer pour mettre les personnes et la qualité des relations au centre. Cela pourra se construire à travers la mise en valeur des savoir-faire des personnes, en se redonnant du temps et du processus, en favorisant les décloisonnements et les coopérations. Discernant que le renforcement de la financiarisation et de la concentration, qui engendre concurrence et standardisation, tend à détruire les organisations socio-économiques locales, assises sur les cultures et les modes de vie des personnes, le besoin de penser une économie politique respectueuse des droits humains, et en particulier des droits culturels, s’impose aux participants. Le terrain de l’évaluation avec ses référentiels de valeurs et de méthodes est aussi parcouru pour tendre vers des logiques multi-parties prenantes, prenant en compte une diversité des regards et des méthodologies du dialogue et du débat. Son objectif n’est plus de faire la preuve face à des dispositifs rationalisants mais de donner lecture des singularités et de récréer des espaces de débat démocratique sur ce qu’est la valeur. Plus largement, la dimension démocratique domine dans les discussions. Comment élaborer de nouveaux espaces d’échange, d’interconnaissance, de coopération, de délibération pour permettre la participation effective de tou.te.s ? Le monopole de la norme et de la violence légitime des démocraties semble se dissoudre dans nos sociétés plus diverses et complexes. Place des collectivités territoriales, inscription dans un cadre nécessairement européen et international, prégnance d’une norme construite par expertise au détriment des processus démocratiques, fléchissement de la démocratie représentative, retour de l’autorité violente, … les analyses se multiplient pour dire le besoin de renouveau démocratique. La dynamique d’espaces publics comme autant de lieux où les personnes se retrouvent pour essayer de définir les règles du monde commun que l’interdépendance des êtres humains, leur solidarité nécessaire, les obligent à construire, constitue alors une référence à approfondir. Les expériences d’initiative privée proposant des espaces de débat public, d’organisation de communs, de mobilisation critique, de co-construction et de négociation normative sont à mettre en travail, tant il est nécessaire de tisser finement et singulièrement les réponses. En conclusion, plusieurs points d’appui peuvent être identifiés pour soutenir cette(ces) démarche(s) collective(s). Il parait ainsi indispensable de se doter d’espaces prospectifs relatifs à la construction de ces droits et de leurs effectivités, qui peuvent se jouer à travers des expérimentations, des pratiques, des modes d’accompagnements, de compagnonnage et de professionnalisation pour intégrer pleinement l’objectif d’émancipation dans les parcours des personnes. La question des formations et de l’éducation populaire doit être mise en exergue comme levier de progrès tout comme les collaborations avec le champ de la recherche. Le besoin de nouvelles coopérations avec les différentes formes collectives d’action pour la défense des droits et des modes de vie est aussi à pointer. Il s’agit de construire des passerelles avec des collectifs citoyens et d’amplifier les liens avec les mouvements de défenses des droits, souvent issus des minorités, d’avancer sur le terrain des luttes contre les discriminations et du féminisme, de continuer les mobilisations contre l’état d’urgence ou les accords de libre-échange. En outre, s’il est bien exprimé, en terme de « changement de paradigme », la nécessité d’opérer, à travers une affirmation pleine et positive des valeurs portées, une transformation culturelle de nos exigences et de nos modes de faire, l’enjeu des changements institutionnels reste un engagement urgent à conduire tant à travers les luttes que les processus de coconstruction. Dans la (re)mise en avant des droits humains et du renouvellement démocratique pour mieux penser les défis de la transformation sociale vers un mieux vivre-ensemble, ces acteurs de l’économie sociale et solidaire participent ainsi à renouveler le projet associationniste et d’égalité réciprocitaire au sens d’une solidarité démocratique forte. Patricia COLER Pour le Collectif « Pour une démarche de progrès par les droits culturels » [1] Emploi, bénévolat et financement des associations culturelles, Valérie, Deroin, 2014, DEPS, Ministère de la culture. [2] Emploi, bénévolat et financement des associations culturelles, Valérie, Deroin, 2014, DEPS, Ministère de la culture. [3] Panorama de l’ESS en France, 2015, CNCRES. [4] Tableau de Bord statistique « les employeurs et l’emploi dans le spectacle vivant », données 2016, CPNEF-SV. [5] Portrait statistique des entreprises, des salariés et des métiers du champ de l'audiovisuel, données 2016, CPNEF-AU. [6] Fiche repère, Les collectifs d’arts plastiques et visuels, Opale, Fraap, 2012. [7] Tableau de Bord statistique « les employeurs et l’emploi dans le spectacle vivant », données 2016, CPNEF-SV. [8] Rapport « Sur le développement de l’entrepreneuriat dans le secteur culturel en France », pour le ministère de la culture et de la communication et au ministre de l'Économie, du redressement productif et du numérique, S. Hearn, en association avec O. Saby, 2014. [9] Tableau de Bord statistique « Les employeurs et l’emploi dans le spectacle vivant », données 2016, CPNEF-SV. [10] Par exemple, les statuts de l’UFISC mentionnent ainsi « les entreprises du champ du spectacle vivant (théâtre, musique, cirque, arts de la rue, marionnette, danse...) et enregistré (disque, supports dématérialisés...) et des arts visuels (arts plastiques, arts numériques, cinéma et audio-visuel ..), dont les activités relèvent de la création, de la recherche, de la production, de Ia diffusion, de la transmission et du partage artistique et culturel, qui s'engagent pour la défense et la promotion de la diversité artistique et culturelle, des droits culturels, de l'éducation populaire, de l'économie sociale et solidaire et de l'intérêt général. » [11] Politique de l'association, Laville J-L., Paris, Éditions du Seuil, 2010 [12] « Combats et contributions des acteurs artistiques : des musiques actuelles à l’Union fédérale d’intervention des structures culturelles », par Philippe Berthelot, dans « Associations et Action publique », dirigé par Jean-Louis Laville et Anne Salmon, Éditions Desclée de Brouwer, sept 2015. [13] Pour une autre économie de l’art et de la culture, direction Bruno Colin et Arthur Gauthier, Edition Eres, 2008. [14] L'Observation Participative et Partagée » (OPP) est une méthode d'observation qui établit un mode relationnel participatif et partagé, entre tous les participants (observateurs, observés et partenaires) tout au long de sa mise en œuvre aussi bien dans la détermination de ce qui est à observer que dans l'analyse. www.fedelima.org/article59.html [15] De nombreuses études de cas sont disponibles sur le site ressource d’Opale. www.opale.asso.fr [16] Culture et économie solidaire, Patricia Coler, in L’économie Solidaire en pratiques, direction M Hersent et A Palma Torres, 2014 [17] Territoires et ressources des compagnies en France, Daniel Urrutiaguer, Philippe Henry, Cyril Duchene, janvier 2012, DEPS [18] L'artiste pluriel, Démultiplier l'activité pour vivre de son art, Marie-Christine Bureau, Marc Perrenoud, Roberta Shapiro, Presses Universitaires du Septentrion, 2009. [19] Voir pour exemple la charte du réseau Actes-if rassemblant une trentaine de lieux intermédiaires en Ile de France - www.actesif.com/actes-if/valeurs [20] Pôles Territoriaux de Coopération Économique culture : des regroupements pragmatiques dans des secteurs d’activité de grande incertitude, Philippe Henry, 2015. [21] « Les arts de la rue ont la capacité à s’adapter à l’espace de vie des gens, en les respectant, sans leur imposer un cadre académique. Ils reconnaissent les personnes, là où elles sont, et non dans un lieu dédié. Nos problématiques sont non seulement esthétiques, mais aussi citoyennes, sociales et humaines, « à hauteur d’homme » », Manifeste pour la création dans l’espace public, Fédération nationale des arts de la rue, 2017. [22] Enjeux et perspectives du renouvellement de la gouvernance collective dans les associations artistiques et culturelles, Laura Aufrère, 2014. [23] Manifeste de l’UFISC. www.ufisc.org/l-ufisc/manifeste/44-ufisc/100-manifeste-de-lufisc-pour-une-autre-economie-de-lart-et-de-la-culture.html [24] www.lartestpublic.fr [25] Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, 1948. [26] Déclaration de Fribourg, 2007, Groupe de Fribourg. [27] « Les identités fixes deviennent préjudiciables à la sensibilité de l'homme contemporain engagé dans un monde-chaos et vivant dans des sociétés créolisées. L'Identité-relation, ou l'"identité-rhizome" comme l'appelait Gilles Deleuze, semble plus adaptée à la situation. C'est difficile à admettre, cela nous remplit de craintes de remettre en cause l'unité de notre identité, le noyau dur et sans faille de notre personne, une identité refermée sur elle-même, craignant l'étrangeté, associée à une langue, une nation, une religion, parfois une ethnie, une race, une tribu, un clan, une entité bien définie à laquelle on s'identifie. Mais nous devons changer notre point de vue sur les identités, comme sur notre relation à l'autre. Nous devons construire une personnalité instable, mouvante, créatrice, fragile, au carrefour de soi et des autres. […] Et cela nous remplit de craintes et de tremblements de parler sans certitude, mais nous enrichit considérablement. » Édouard Glissant, 2011 (interview au Monde) [28] www.culturesolidarites.org Bibliographie (à compléter)
Références chiffrées en ligne Emploi, bénévolat et financement des associations culturelles, Valérie, Deroin, 2014, DEPS, Ministère de la culture www.culturecommunication.gouv.fr/Politiques-ministerielles/Etudes-et-statistiques/Publications/Collections-de-synthese/Culture-chiffres-2007-2017/Emploi-benevolat-et-financement-des-associations-culturelles-CC-2014-1 Panorama de l’ESS en France, édition 2015, CNCRES http://www.cncres.org/upload/gedit/12/file/observatoire/Panorama%20de%20l%27ESS%202015-CNCRES.pdf?utm_content=bufferaf0eb&utm_medium=social&utm_source=twitter.com&utm_campaign=buffer Tableau de Bord statistique « Les employeurs et l’emploi dans le spectacle vivant », données 2016, CPNEF-SV. https://www.cpnefsv.org/sites/default/files/public/pdf/D-Donnees-statistiques/TBS%20Audiens%20-%20Part.1/Tableau%20de%20bord%20Partie%20emploi%20-%20donn%C3%A9es%202016.pdf Portrait statistique des entreprises, des salariés et des métiers du champ de l'audiovisuel, données 2016, CPNEF-AU. http://www.cpnef-av.fr/docs/pdf/Portraits%20stats%202016/Portrait_statistique_audiovisuel.pdf Fiche repère, Les collectifs d’arts plastiques et visuels, Opale, Fraap, 2012. http://www.opale.asso.fr/IMG/pdf/2012_fiche_repere_arts_plastiques.pdf Les commentaires sont fermés.
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